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19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 18:16

La Haute-Borne

 

Actuellement, placé en bordure de la route, à la sortie sud-ouest de Hagondange-Cité, au rond-point reliant le centre thermal d’Amnéville et la cité de Hagondange, notre attention est attirée par la présence d’un monolithe de pierre calcaire.

 borne wilsius 001  

 

Haut de 1,80 mètre et large de 0,60 mètre, il est en pierre jaune grossièrement taillée. Sa face principale ne porte pas d'inscription, mais on peut y remarquer de curieuses rigoles. Vers le bas, on peut constater qu’un grand éclat s’est désolidarisé du bloc. Deux bras très courts lui donnent un peu l'aspect d'une croix, avec la christianisation de la région, le monolithe a-t-il été retaillé ?

 

On peut supposer qu'il s'agit d'une borne milliaire romaine, elles étaient placées le long des routes, tous les mille pas, soit 1481 mètres.

Il peut s'agir d'une borne leugaire celte. À partir d'Adrien IIe siècle, elles étaient implantées toutes les lieues gauloises, soit environ 2222 mètres.

 

D’autres hypothèses sont émises par certains historiens et archéologues. Au moyen-âge, elle aurait pu définir la limite de bans communaux ou de fiefs.

 

Elle pourrait également être une borne cultuelle ayant un rapport avec un lieu sacré se trouvant au sommet de la Côte de Drince, où les premières installations humaines dateraient du Néolithique (5000 ans avant J.C.). Les vestiges d'un oppidum remarquable demeurent visibles et attestent la présence dans la région du peuple celte, les Médiomatriques (environ IIIe siècle).

 

Situons d'abord le contexte routier au cours des premiers siècles et remontons à l'époque de l'occupation romaine en Gaule.

 

Le réseau routier romain reprend l'ancien et rudimentaire réseau routier gaulois en l'aménageant. Metz, appelée à l'époque Divodurum, capitale des Médiomatriques, est le carrefour de routes régionales et interrégionales importantes.

 

Metz est à la croisée des deux plus importantes chaussées de l'Est gaulois : l'axe sud-nord, Lyon-Trèves (Lugdunum-Augusta-Treverorum) et l'axe ouest-est, Reims-Strasbourg (Durocortorum-Argentoratum).

Outre ces deux axes principaux, le territoire des Médiomatriques est desservi par de nombreuses routes secondaires.

 

La route de Lyon à Trèves, Voie d'Agrippa, reliant la Méditerranée au Rhin, arrive à Metz après avoir traversé Toul, Dieulouard (Scarpone). Elle entre par Montigny, actuelle rue Franiatte, puis dans la ville par la rue du XXè Corps américain. En entrant dans la cité, elle donne son nom à la rue Serpenoise (via Scarpone) et c’est à l’intersection des rues Taison et Fournirue qu’elle croise l’autre voie romaine qui relie Reims à Mayence.

 

Au-delà de la ville, elle se dédouble en deux voies de part et d'autre de la Moselle, pour rejoindre Trèves.

Dans notre secteur, soit par la rive gauche de la Moselle, en 220 après J.-C., la route romaine quitte Metz, se dirige vers Woippy, Maizières-les-Metz, longe les friches de l'ancienne usine UCPMI où elle porte encore de nos jours l'appellation Voie Romaine (route départementale D112 E), puis s'enfonce dans le bois de Coulange et réapparaît à Amnéville où l'artère principale est désignée Rue des Romains. Elle franchit ensuite l'Orne.

 

Au début des années 1930, des investigations ont lieu entre Boussange et Amnéville. Les anciens habitants de Boussange connaissaient l'existence de pilots dans le lit de la rivière, à l'endroit où aboutit la voie romaine. La sécheresse exceptionnelle qui règne cet été là, favorise les investigations et on trouve trace d'un pilotis qui traverse l'Orne en diagonale. Il se compose de 10 à 12 rangées de pilots en chêne espacés d'environ 0, 50 mètre.

De grosses pierres rapportées d'ailleurs (à Boussange-Amnéville on n'en trouve pas) emplissent les intervalles. Le barrage a environ 5 mètres de large, jadis il devait en avoir davantage. Les crues de l'Orne ont emporté les pierres et appointé les pilots. A en juger par la partie conservée près du rivage d'Amnéville, ce barrage pouvait avoir 1 mètre de hauteur (1).

 barage de l'orne 001

 

 

 

Toute trace de cette construction disparaît lors des travaux de détournement de l'Orne, travaux entrepris par Sacilor en 1967-1968.

 

 

    voie romaine borri 001 

 

La route romaine atteint ensuite Boussange, contourne Thionville, puis rejoint Trèves par Dalheim au Luxembourg.

C'est une route commerciale Méditerranée-Rhin et une route stratégique, liaison avec la zone militaire rhénane.

La route ouest-est, Reims-Strasbourg, arrive à Metz par Verdun et continue par Peltre, Delme, Sarrebourg et Saverne.

Une autre route double la précédente vers le Rhin et le Palatinat par Sarrebruck, Worms et Mayence.

D'autres routes rejoignent la Meurthe et la Sarre Moyenne.

Ces chaussées romaines ont été retrouvées lors de fouilles, principalement dans Metz, ou sont visibles sur des sites non bâtis. Ces différents itinéraires routiers sont jalonnés de bornes milliaires, de vestiges de monuments ou d'ateliers gallo-romains.

Certains vestiges ont été découverts à Hagondange au cours de fouilles. En 1909, on découvre trois représentations en pierre de la Déesse Epona, elles sont déposées au musée de Metz (2). Un bâtiment en bois, couvert de tuiles, contenait de menus objets : hipposandale en cuir (sorte de chaussure de protection des sabots de chevaux, attachée par des lanières), une fibule en bronze et quatre monnaies des IIe et IIIè siècles.

     

 

epona 001 

 

Cette représentation d'Epona se trouve au musée de Metz

 

Mais revenons à la Haute-Borne. Il semblerait que le monolithe était tout d'abord placé à un croisement de routes importantes : " Voie Romaine" et "Chemin du bois" venant de Mondelange et conduisant à la Côte de Drince, par la forêt de Mondelange, la Tuilerie (près de Pierrevillers) et la ferme de Ramonville.

 

 

     emplacement borne 001

 

Il existerait un ancien plan de cadastre qui nous permettrait de la situer plus précisément, car on peut y voir que le village de Hagondange est relié par le "Chemin du bois" aux lieux-dits "Haute-Borne" et "Kreuzfeld" (Champ de la croix). Ces deux lieux-dits ne voisinent pas avec la Voie Romaine et sont séparés par le lieu-dit "Grand Enclos".

Quand ces terrains ont été achetés pour permettre la construction de l'usine Thyssen et de sa Cité ouvrière,  les parcelles ont été réunies sous un numéro unique nommé "Haute-Borne".

Nous recherchons ce vieux plan depuis un certain temps déjà, mais ne sommes pas parvenus à le retrouver.

 

En définitive, le mystère demeure quant à l'âge et l'origine de la borne. Diverses hypothèses ont été émises, mais à ce jour il n'existe aucune preuve scientifique ou historique se rapportant à sa fonction et à sa genèse. Quatre théories sont en présence : c'est une borne milliaire romaine, une borne leugaire celte, une borne à connotation religieuse ou une borne limitrophe de ban communal ou seigneurial.

Voyons ces différentes versions et essayons de les analyser.

 

Une borne milliaire.

Comme nous l'avons déjà indiqué, à l'époque romaine, une borne milliaire est une pierre de forme cylindrique, installée tous les mille pas, ce qui représente environ 1481 mètres. Le voyageur, le marchand ou le légionnaire peuvent ainsi avoir des repères durant leur périple. Des indications sont gravées sur les bornes, elles donnent les valeurs de distance en chiffre, ainsi que le nom de l'empereur qui a fait entreprendre les travaux routiers.

 

Cette hypothèse pourrait parfaitement être plausible étant donné que la parcelle de terrain initiale où se trouvait ce monolithe faisait partie du ban de Mondelange avant l’industrialisation du secteur et le rachat par la commune de Hagondange.

Mr Albert WAKERMANN le fait bien remarquer dans son ouvrage sur l’histoire de Mondelange (9).

 

Dans l’inventaire des fouilles archéologiques établi par Marcel LUTZ dans « La Moselle Gallo-Romaine », il est précisé qu’à l’occasion de travaux de dragage dans les immenses dépôts de sables et de gravier de la Moselle, haut de plus de 6 mètres, sous une couche arable de plus d’1,60 m, on recueillit de nombreux objets dont certains de l’époque gallo-romaine.  Parmi eux, un fragment pouvant provenir d’une borne milliaire et portant ces inscriptions : GALERIO // MAXIMIN // IN // AI.  (12)

 maximin2-daia

L’information sera corroborée par le professeur DEMAROLLE, auteur d’une étude sur les voies romaines (10). Cette dernière, apporte une information importante quant à la datation d’une borne mondelangeoise. En effet, dans le volume XVII du « Corpus Inscriptionum Latinarum »  il est répertoriée une borne romaine à Mondelange datant du règne de Maximus Gaia. (11)

Cela situerait la borne au IVème siècle de notre ère.

 

Cependant, à ce stade des recherches, il est impossible de certifier que ce fragment de borne  mondelangeoise faisait parti intégrante de notre Haute-Borne. D’autant que, ce fragment a été retrouvé dans l’ancien lit de la Moselle. S’il est vrai que les monolithes de l’époque romaine furent largement réutilisés au cours des siècles suivant, compte tenu des besoins domestiques des habitants, il n’y a qu’une étude et analyse géologique de la texture de la pierre qui pourrait prouver l’identification des deux parties.

 Le fragment portant ces inscriptions, aurait parfaitement pu être amené là par le courant et provenir d’un secteur plus en amont vers Metz ou être utilisé et déplacé par la main de l’homme.

 

Une borne leugaire

Elle a la même fonction que la borne milliaire avec cependant une autre unité de mesure : la lieue gauloise ou celte, d'une valeur de 2222 mètres environ. Si nous suivons sur une carte, le tracé de la Voie Romaine depuis l'endroit où l'on a découvert la borne  et la localité de Woippy, nous découvrons que 9 kilomètres séparent ces deux points, soit 4 lieues ou 8888 mètres.

Il faut signaler que les bornes leugaires portent également des indications chiffrées et lettrées. Cela nous ramène aux aspérités visibles à la surface de notre borne, elle ressemble étrangement à des coups de burin ou de marteau. A-t-on voulu effacer certaines inscriptions païennes ?

De même, les deux "bras horizontaux " qui tendent à assimiler ce bloc de pierre à une croix ont peut-être été taillés bien plus tard ?

 

Borne cultuelle

Les croisements des routes et les limites territoriales étaient autrefois considérés comme des lieux sacrés. Nos ancêtres y érigeaient des autels, coutume qui se perd après la conversion au christianisme.

Le croisement de Hagondange était certainement d'une importance particulière puisqu'on y a érigé une "Haute-Borne". Le chemin perpendiculaire tombe sur la Côte de Drince où existait un oppidum. Des traces de murs y étaient encore visibles à la fin du XIXe siècle, mais leurs derniers vestiges ont disparu, dégradés peu à peu par les enfants qui selon les dires des habitants de Pierrevillers s'amusaient à faire rouler les pierres en bas du talus.

 

borne a terre 001 

 

La borne à terre, telle que l’a trouvée Raymond JACQUES en 1934. (me : partie manquante)

Photo Maurice NEY.

La "Haute-Borne" est maintenant couchée dans l'herbe, à l'ombre des acacias, en face des cheminées de l'usine. Chaque année, les feuilles mortes la recouvrent et l'enfouissent davantage. Si de pieuses mains ne la relèvent, le jour viendra où la terre l'aura ensevelie (3).

 

Borne limite de ban

« Le Chemin du Bois » parcourait les lieux-dits : « À gauche du chemin du bois », « À droite du chemin du bois » (Section 13 A), « Devant le bois » (Section 14) appartenant à Mondelange.

Les Usines Thyssen s’implantent vers 1911, la Kolonie est construite sur les bans de Hagondange et de Mondelange.

Très rapidement, le rattachement de cette fraction du ban de Mondelange qui compte 1 143 habitants à celui de Hagondange devient nécessaire. Au cours de la délibération du 8 octobre 1911, le Conseil Municipal propose un payement unique de 5 000 Mark à Mondelange.

De longues tractations commencent, alors que se déclare la guerre franco-allemande.

La cession de la Kolonie est officialisée sur ordonnance de Von Dallwitz, Gouverneur impérial en Alsace-Lorraine. Elle entre en vigueur le 1er novembre 1916. Une superficie de 104,38 ha de terrain est cédée à Hagondange.

Ce n’est qu’en 1920, que la Commune de Hagondange verse la somme de 36 788,55 Frs (intérêts compris) (4).

 

croquis Wakermann 001 

 

 

 

La borne se trouvait peut-être à la limite de cette parcelle, mais rien ne le prouve vraiment !

 

Nous dirons donc qu'au Moyen-âge, notre territoire se trouvait au croisement de trois entités : le Pays Messin, le Duché de Lorraine et le Duché de Luxembourg. La Haute-Borne se trouvait à la limite nord du Pays Messin.

 

Dans son livre "Entre Drince et Namblot...Pierrevillers", Jean Claude Jacoby  signale :

« …sur Hagondange lors de l’aménagement du carrefour giratoire, au croisement de la voie avec le haut de la rue Wilson, des traces d’habitat et du mobilier ont été retrouvés. Christianisée, une pierre calcaire, dite la Haute-Borne que les archéologues datent du haut moyen-âge (IVe au Xe siècle) a été dressée en bordure de cet ancien passage. La proximité de la voie romaine ne suffit pas cependant pour affirmer que des constructions existaient déjà sur notre territoire. »

  naudin blog 001

 

 

 La Haute-Borne est la seule borne existant encore dans le Pays Messin. La présence d'autres exemplaires nous aurait permis d'effectuer des comparaisons et d'en tirer des conclusions.

Vers 1950, une équipe de bénévoles restaure la base du monolithe et le déplace en bordure de la route, le mettant bien en évidence.

Au fil des ans et surtout à la suite d'un heurt par un véhicule, en 1989, la Haute-Borne subit de sérieuses dégradations. En 1990, elle est restaurée par les soins de la municipalité de Hagondange et mise en place à quelques mètres de l'endroit précédent.

 

Depuis 1998, la Haute-Borne est adoptée comme emblème par le "Groupe d'Histoire locale de Hagondange».

 blason-de-hagondange.jpg

 

A signaler :

Dans le quatrième quartier des armoiries de la ville de Hagondange figurent la Voie Romaine de Lyon à Trèves et les fers rappelant les forges romaines.

 

"De gueules à trois fers à cheval d'or cloués de sable, deux en chef, un en pointe, à la fasce d'or accostée de deux cotices d'argent."

 

 

 

 

 

 

 

  Borne-face-avant.jpg

 

 

  La borne telle que nous pouvons la voir de nos jours.

   Photo de Innocent Borri ( juin 2002)

 

 

 

 

Explications des repères :

 

1) Texte rédigé par Raymond Jacques. Il a paru en févier 1934 dans "Les Cahiers Lorrains", organe mensuel des Sociétés littéraires, scientifiques et artistiques de Metz et de la Moselle.

 

2) Ces fouilles ont été rapportées par J.B. Keune dans le « Jahrbuch der Gesellschaft für Lothringische Geschichte und Altertumskunde » JB XXII 1910 page 514 et traduites par J.M. Blaising. (Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie).

J.B. Keune, conservateur allemand des Musées de Metz, épigraphiste de renom, est l’auteur d’une série d’articles s’appuyant sur de riches et sérieuses documentations abondamment illustrées, sur les découvertes faites au Sablon, entre 1895 et 1910.

 

3) La divinité Epona paraît d'origine gauloise et on ne constate à Rome nulle trace de son culte avant l'empire.

On trouve des représentations d'Epona dans la partie nord du bassin méditerranéen, en Lorraine, dans les provinces rhénanes d'Allemagne... À partir de la conquête de la Gaule par les Romains, des Gaulois sont incorporés dans les troupes auxiliaires de l'armée romaine. Ces Gaulois, excellents cavaliers, introduisent leur déesse fétiche dans toutes les provinces parcourues par les légions. Epona est donc adorée surtout par les militaires, son culte se localise souvent dans des écuries où l'on place sa statue en bronze, ou en céramique, ou encore son portrait peint. Elle est surtout représentée en cavalière.

Ces représentations sont souvent assez petites, modestes et attestent un culte humble et populaire. Quelques autels et un calendrier permettent de penser que des fêtes locales, aux dates variables selon les régions, lui sont consacrées. Certains lui donnent un rôle en rapport avec la mort, elle serait l'accompagnatrice des âmes. Le cheval est souvent considéré comme l'introducteur de l'âme du défunt dans au-delà. Le culte d'Epona disparaît avec l'avènement du christianisme.

Un détail qu'il ne faut pas oublier, les Romains avaient l'habitude d'enterrer leurs morts le long des routes.

 

4) J.B. Keune 1910, pages 514-515. E.Espérendieu 1913 n° 4449; M. Toussaint 1950 pages 109-110.
M. Lutz 1961 pages 132-133. M. Enskirchen 1999 n° 97, 144 et plan VI n° 47-50.

Texte extrait de "Cartes Archéologiques de la Gaule". Pré-inventaire archéologique publié sous la responsabilité de Michel Provost.

 

5) Texte de Raymond Jacques, paru dans " Les Cahiers Lorrains" qui regroupent : la Société d'histoire et d'archéologie, l'Académie de Metz, la Société des amis des Musées et la Société d'histoire naturelle.

 

6) Texte et carte tirés du livre  "Hagondange et ses Rues" de Guy Ginion, Christine et Innocent Borri.

 

7) L'Austrasie, 1838, page 309 et suivantes : Quelques feuillets d'une chronique messine.

 

8) Loc. cit. pages 317 et 317.

 

(9) « Histoire de Mondelange » d’Albert Wakermann

 

(10) Donner le nom du fascicule sur les voies romaines

 

(11) CIL Corpus Inscriptionum Latinarum Vol. XVII, 2, 539

 

(12) « La Moselle Gallo-Romaine » de Marcel LUTZ page 300

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